Ce qu’il faut comprendre de la guerre asymétrique du Noso, selon Célestin Bedzigui
Écrit par admin le 18/12/2019
Dans une tribune publiée il y a quelques heures, Célestin Bedzigui, adjoint au maire de Monatele explique pourquoi la guerre dans le Noso gagne toujours en intensité et l’urgence d’une négociation rapide.
Ci-dessous sa tribune
« La recherche de solution à la crise sanglante qui sévit dans les régions du Nord Ouest et du Sud Ouest du Cameroun impose aux politiques de ce pays une réflexion profonde et sans complaisance pour en limiter les dégâts en pertes de vies humaines et sur le plan économique.
Mes réflexions ce jour vise à éclairer d’avantage l’opinion sur mes réserves exprimées il y a quelques jours sur la conduite des opérations militaires et l’option politique prises par le Gouvernement, au regard des pertes en vies humaines enregistrées par les FDS gouvernementales au cours de la dernière semaine. Elles sont puisées de l’expérience et des leçons à tirer des conflits asymétriques passés dans d’autres pays.
La première est relative à la stratégie des belligérants dans ces conflits.
Dans la terminologie des polémologues, les conflits asymétriques sont des conflits qui opposent le « fort » (forces conventionnelles) au « faible » (forces insurgées) le plus souvent dotées d’équipements et d’armes sommaires, leur force résidant essentiellement dans la conviction chevillée au corps qu’elles mènent une « guerre juste » et ayant la capacité à se fondre au sein de la population et dont elles ont le plus souvent l’appui.
Dans ces conflits, il n’y a pas de ligne de front, comme dans les guerres conventionnelles. L’essentiel des affrontements se fait à travers des embuscades et des opérations « coups de main » comme on l’observe ces temps derniers.
La deuxième réflexion est que les conflits asymétriques sont des « guerres psychologiques ». En effet, étant donné que ces conflits opposent le « fort » au « faible », chaque jour qui s’écoule est considéré par le « faible » comme une victoire pour la cause qu’il défend, parce qu’il est parvenu à survivre à la puissance de feu des forces conventionnelles, ce qui l’encourage à poursuivre le combat, alors que pour le « fort », les jours qui passent sapent le moral des troupes face à cet ennemi insaisissable, qui se fond dans la population après chaque embuscade. Bien plus, comme on l’a vu aux États-Unis pendant la guerre du Vietnam, les familles des soldats, le plus souvent des « citoyens ordinaires», se révoltaient de voir leurs enfants mourir au front, pendant que les enfants de «l’establishment» continuaient leurs études…une humeur qui pourrait se manifester au Cameroun.
Ces deux réflexions peuvent, d’une part offrir une clé de lecture sur ce qui explique la résistance des «Ambazoniens» face aux FDS, forces conventionnelles depuis bientôt cinq ans, et d’autre part prévenir un éventuel retournement de l’opinion contre les pouvoirs publics si les soldats, dont la plupart sont encore des jeunes gens, continuent à perdre leur vie au front, laissant leurs familles, aux yeux desquelles ils représentaient l’ascension sociale, dans le désarroi.
Je me permets de tirer par ailleurs enseignement de l’expérience d’un autre conflit asymétrique bien connu, en Colombie. Si les FARC ont été en mesure de lutter contre le gouvernement colombien pendant 50 ans, c’était avec le soutien des populations. Ce conflit n’a connu son épilogue que quand les populations se sont enfin ralliées, après d’âpres négociations des leaders politiques des insurgés, avec le gouvernement colombien.
À partir de ce constat, on peut se poser cette question : comment ramener la revendication politique aux populations du Nord-ouest et du Sud-ouest qui s’ approprieraient par les voix pacifiques le discours tenu par les «Ambazoniens» sur la «violation des clauses de Foumban» dont ils ont fait leur thème mobilisateur ?
Du point de vue de la stratégie politique de sortie de cette crise, la réponse à construire sur cette question pourrait être une piste parmi tant d’autres pour mettre fin à ce conflit, une réponse qui ira bien au-delà et d’un accroissement de la militarisation, et de la seule neutralisation des ‘’chefs de guerre ambaboys ».
Plutôt, elle mettra sur la table de manière plus prégnante la nécessité d’un dialogue cathartique, inclusif, élargi, mené par des figures anglophones neutres qui ne peuvent être accusées d’être des « pompiers incendiaires » comme sont qualifiés certaines figures gouvernementales. Cette équipe devra être animé d’un esprit ouvert comme celui qui avait été mis en place à la Tripartite avec le Premier Ministre Hayatou.
Le Grand Dialogue National n’a pas bénéficier d’une pareille volonté inclusive, par manque d’expérience mais surtout par calcul politique de ceux qui le conduisait de présenter au peuple et au Président de la République un ‘’package deal » tronqué malheureusement n’avait pas associé les véritables acteurs d’en face, partis politiques et société civile. A l’époque j’ avais manifesté ma désapprobation en suspendant pendant deux jours ma participation aux travaux et en signalant que le résultat de cette manière de faire sera celui auquel nous faisons face aujourd’hui à savoir, la poursuite des troubles plutôt leur cessation comme nous y sommes parvenus dès le lendemain de la Tripartite .
De l’expérience et de l’exemple de la Colombie cité plus haut, deux solutions serait indiquées.
Sur le plan militaire, plutôt que d’intensifier la militarisation du NOSO, et surtout pour réprimer la dérive criminelle qui s’accroît sous le prétexte du « struggle », privilégié un déploiement des forces spéciales formés aux opérations search and destroy et constitué de soldats expérimentés au lieu et place des BIR n’ayant pour toute connaissance que trois mois de formation. C’est pour n’y avoir pas recouru que j’ai évoqué » l’incurie » du commandement militaire opérationnel.
Sur le plan politique préparer et engager un large dialogue populaire en autorisant au préalable la tenue de l’ ACC3 – All Anglophone Conférence jusque la contrarié par le gouvernement, au terme duquel les représentants choisis par les anglophones seront invités à un dialogue avec le Gouvernement, conversation au cours de laquelle seront apportées une réponse significative au problème de fond exprimé par la grande majorité de nos compatriotes d’expression anglophone à savoir, que soit revisité la conversations de Foumban qui ont abouti à la Fédéralisation du Cameroun, en excluant comme préalable tout remise en cause de l’ unité étatiques Cameroun.
Il est important de souligner que la décentralisation peut recevoir plusieurs contenus pouvant être la fédération à l’américaine, la régionalisation à l’allemande, la confédération à la suisse, le statut spécial proposé par le gouvernement Kamer qui est en réalité une décentralisation à minima, en réalité une autre tentative de roublardise politique, pratique dans laquelle ce régime excelle…. quand on pense à ce qui a été fait des Accords de la Tripartite et de la Plateforme UNDP dont dans les deux cas j’ai été négociateur et signataire.
Voila le cœur de crise actuelle. Le Gouvernement a entre les mains la solution.
Notre pays ne peut se permettre un conflit qui durera des décennies comme en Colombie. C’est la raison pour laquelle une très grande majorité de citoyens de notre pays souhaite que soit mis fin aux tueries dans le NOSO, tueries dont la poursuite exposera d’avantage les camerounais à la division et à la haine. Et c’est à celle des parties qui a entre les mains la solution, à travers l’ouverture d’un dialogue inclusif et portant sur un relecture des accords de Foumban, qu’incombera la responsabilité historique si le pire advenait ».